Auteur: Gilles Gouzerh
Une histoire qui finit bien pour ces artistes, peintres, comédiens, sculpteurs… occupant une ancienne ébénisterie et menacés d’expulsion. Trois ans et demi d’un véritable parcours du combattant pour faire d’eux des copropriétaires à part entière et sauver un bel exemple d’architecture parisien du XIXe siècle. Une opportunité pour la société Faubourg Conseil Immobilier/Barret Conseil Associés de déployer un large éventail de savoir-faire et de démontrer son engagement au service d’une juste cause !
Parmi les projets menés à bien par la société Faubourg Conseil Immobilier au cours de ces vingt dernières années, certains, parce qu’ils se sont révélés particulièrement complexes, résolument atypiques ou constitués d’une surprenante suite de péripéties, laissent un souvenir particulier. C’est le cas du 29 rue des Orteaux.
D’une menace d’expulsion au lancement d’un processus d’acquisition
Ils sont une vingtaine d’artistes, organisés en collectif, à occuper cet ensemble de trois bâtiments de trois étages sur cours, avec charpente bois verticale, remplissage de briques et baies vitrées. Un bel exemple d’architecture typique du XIXe siècle devenu rare à Paris. Tout allait pour le mieux jusqu’à ce que le groupe d’immeubles change de propriétaires à l’occasion d’une succession, les héritiers souhaitant vendre au plus vite. Pour les artistes, c’est la menace d’une expulsion qui se profile. Après une première visite effectuée par des marchands de biens, un membre du collectif, Annette Mouret, comédienne, décide de prendre les choses en main. Une de ses proches parents, Michèle Audon, a connu Patrik Barret sur un autre dossier et lui conseille de le contacter, non sans préciser : « C’est quelqu’un qui trouve toujours des solutions ». Il n’en fallait pas plus pour attiser l’imaginaire débridé des artistes et, au cours des années qui suivirent, en plus d’être « celui qui trouve », Patrik obtint les titres de « docteur », de « charnière » puis de « maillon central » avant de finir avec une casquette de Grand Manitou…
Une situation d’occupation complexe mais régulière
Une première étape, rassurer chacun sur sa légitimité à occuper les lieux qui se divisent de la manière suivante : le bâtiment A est inoccupé depuis dix ans. Le B est loué à « l’association des artistes locataires » avec un bail et paiement de loyers mensuels. Le C quant à lui est en contrat d’occupation avec paiement mensuel d’une indemnité. Les artistes ne sont donc pas des « squatters » mais bel et bien en situation régulière d’occupation. Situation confirmée — pour le bâtiment B uniquement, et pour une durée de 3 ans — par un cabinet d’avocats spécialiste des baux (pdp avocats) et un expert immobilier agréé auprès des tribunaux.
C’est alors que Gilbert Cossé, artiste peintre et président du collectif, rassuré sur le bon droit des artistes, lance, comme une provocation destinée à tester l’implication et l’esprit de solidarité de la société Faubourg Conseil Immobilier : pourquoi n’achèterions-nous pas ? Bonne idée ! lui répond le nouveau partenaire. Dès lors le projet prend une autre dimension et les questions légales laissent place à des problématiques de viabilité, de financement, de gestion… Premier objectif : faire réaliser un audit technique approfondi des bâtiments. Un maître d’œuvre, Michel Lucand, auquel la société Faubourg Conseil a déjà fait appel à plusieurs reprises est chargé de mener les opérations. Il ressort de l’étude que la structure s’avère « bonne et pérenne ». Des devis sont donc établis pour connaitre les coûts d’une remise en en parfait état du clos et du couvert, rénover la toiture, poser de nouvelles fenêtres, effectuer la maçonnerie et le pavement, à l’identique des cours, dans le passage menant à la rue. Des travaux visant à mettre à niveau chacun des ateliers en matière de réseaux et de gestion des fluides (électricité, eau, téléphone, rejet d’eaux usées, eaux vannes…) sont également à mener. Au final, seize lots spacieux, lumineux et confortables devront être livrés.
Une stratégie immobilière sur mesure
Une fois évalué le montant global des travaux, Patrik Barret suggère d’établir un compte d’exploitation prévisionnel permettant aux artistes de se structurer en copropriété et de vendre les bâtiments en plusieurs lots. Au terme d’un délai de réflexion teinté d’idéalisme, au cours duquel vont s’exprimer les personnalités et les sensibilités des uns et des autres, dix membres du collectif se sentent prêt à accéder à la propriété. Reste encore six lots disponibles à la vente qui seront proposés à des artistes extérieurs au collectif mais cooptés par ce dernier. Une fois réglée la question de l’attribution de l’ensemble des espaces, le compte d’exploitation prévisionnel peut être finalisé. Afin de financer la résiliation à l’amiable du bail ou du contrat d’occupation des artistes non désireux de se porter acquéreurs, le prix d’achat fixé pour les « nouveaux venus » est supérieur de 25 % au coût d’acquisition réservé aux « anciens ». Le montant potentiel de l’offre faite aux propriétaires vendeurs peut maintenant être déterminé.
Un parcours sous pression
Alors que le processus d’acquisition suit son cours… « il faut continuer à se battre contre les promoteurs qui font aux héritiers propriétaires des propositions mirobolantes, gérer les relations entre les artistes, quelquefois faire les “nounous“ car ils avaient peur, convaincre les banques… », précise Annette Mouret. Certains vivent mal ces tensions, comme le président du collectif, Gilbert Cossé, qui décide de se retirer du projet. Une grosse déception et un choc pour les collaborateurs de Faubourg Conseil Immobilier. Heureusement, un autre artiste, le peintre Emmanuel Barcillon, relance la dynamique. « Avec ce nouvel élément très moteur, complémentaire d’Annette Mouret, l’opération pouvait se poursuivre » explique Patrik Barret, qui ajoute : « Sans eux, je n’aurais pas réussi. Cela a été très long car il y avait de grosses tensions, depuis longtemps, un esprit de collectivité hérité des années 70. On se réunissait dans un bistrot. Ils me racontaient leurs histoires, que j’écoutais en silence, n’intervenant que pour répéter mon plan d’action. »
Une nouvelle phase s’achève avec la constitution du dossier d’acquisition chez Maître André Bégon, le notaire auquel la société Faubourg Conseil Immobilier fait régulièrement appel, et qui doit piloter toute la mise en copropriété. Le montant des travaux ayant été établi, le prix de chaque atelier défini, les artistes peuvent désormais demander à leurs banques une « lettre de confort bancaire » correspondant à leurs besoins de financement. Plus de dix artistes obtiennent une réponse favorable, et c’est en possession des courriers émis par leurs banques respectives que le notaire rédige son propre courrier à destination des propriétaires. Il informe ces derniers de l’obtention par les artistes des accords de principe, préalables à l’établissement de protocoles définitifs, en vue d’acquérir en une seule fois l’immeuble qui doit ensuite être mis en copropriété.
Clichés et préjugés
Comment une « bande » d’artistes plutôt bohèmes, et par essence (ou idée reçue !) plus portés sur la création et l’art que sur l’épargne et l’investissement, peuvent-ils se lancer dans une telle opération immobilière ? Les propriétaires sont pour le moins dubitatifs. Le cabinet « pdp avocats », devenu conseil du collectif sur ce dossier, tient à avoir la preuve que le financement est en passe d’être obtenu. Certains artistes ont eux-mêmes du mal à envisager l’hypothèse d’un artiste propriétaire de son lieu de création… Alors un artiste copropriétaire ! « Nous avons même fait la démarche, Maître Bégon, Annette Mouret, Jean-Marie Fiori (sculpteur) et moi-même, raconte Patrik Barret, de rencontrer le notaire des propriétaires, près de Milly la Forêt. L’homme n’avait visiblement pas une très haute opinion des artistes en général. Au point qu’il ne parvenait pas à comprendre pourquoi nous voulions signer ! »
L’affaire est bloquée. Pas pour longtemps… Car l’un des artistes propose alors d’écrire au maire du 20e arrondissement. Une riche idée ! « Nous avons été reçus par un chef de cabinet qui nous a écouté attentivement. Le maire, de son côté, s’est déclaré ravi de voir des artistes rester dans son arrondissement. Pour lui, il s’agissait d’un projet tout à fait sérieux et il était prêt à jouer un rôle de médiateur. »
Il n’en faut pas plus pour rassurer les propriétaires et les convaincre de vendre. Le moment est venu de créer l’entité juridique devant représenter le collectif dans cette transaction immobilière. Dix artistes ayant décidé de se porter officiellement acquéreurs, forts d’un accord de principe de leurs banques, la constitution d’une SVLA (Société de Valorisation des Locaux d’Artistes) est entérinée chez le notaire. Le statut choisi a quelque chose de cocasse pour les acteurs concernés dans la mesure où ce type de SARL est soumise au régime fiscal « marchand de biens ». Quoi qu’il en soit, c’est la SVLA qui signera la promesse de vente pour acheter les bâtiments aux propriétaires. C’est elle aussi qui, le jour même de l’acte, signera la revente aux seize artistes acquéreurs. Six acheteurs restent donc à trouver. Trois ans après que le collectif ait contacté Patrik Barret, la promesse de vente est enfin signée.
Aléas et contretemps
Quelques jours avant la date prévue pour la signature de l’acte définitif, Emmanuel Barcillon, devenu entre-temps président du collectif, informe Patrik Barret que la banque chargée d’accorder les prêts à plusieurs d’entre eux — douze pour être précis — n’a toujours pas monté les dossiers… « Emmanuel était au bord des larmes. J’ai aussitôt appelé la secrétaire du PDG de la banque — au culot, car je ne connaissais ni l’une, ni l’autre —, assurant que le projet allait capoter et qu’ils perdraient ainsi douze clients. Je précisais qu’il ne s’agissait pas d’une menace mais d’une réalité, et que je les poursuivrais en dommages et intérêts s’ils ne réglaient pas immédiatement cette situation. Le lendemain, le directeur, qui avait dû travailler toute la nuit, accordait tous les crédits. »