Futuro, la maison nomade

J’y suis, j’y reste ! Telle pourrait être la devise de la drôle de maison qui, depuis bientôt dix ans, prend ses aises sous la verrière du marché Dauphine, au cœur des puces de Saint-Ouen. L’histoire de cette maison nomade, conçue en 1968 par l’architecte finlandais Matti Suurinen et devenue une icône de l’optimisme des années 60 chez les collectionneurs, n’a pourtant pas manqué de péripéties. Et Faubourg Conseil Immobilier – qui décidément aime les aventures rocambolesques ! – y a plusieurs fois participé.

Que le futur soit !

En 1968, alors que l’humain s’apprête à marcher sur la lune, l’architecte finlandais Matti Suurinen conçoit une maison modulaire et transportable aux allures de capsule spatiale. Un ami d’enfance souhaite en effet, pour ses vacances de ski, un chalet prêt à l’emploi et à poser sur les pentes enneigées.
Qu’à cela ne tienne ! Son ami architecte dessine un prototype elliptique de 3 mètres de haut et 8 mètres de diamètre, pesant 400 kilos et d’une surface de 50 m² divisible pour l’aménagement intérieur, qui illustre à merveille l’optimisme technique des années 60. Jusqu’à huit personnes peuvent être logées dans cette maison nomade qui se veut l’incarnation d’une nouvelle ère, celle de l’espace et du plastique – ce matériau qui rend le monde si coloré et la vie si facile –, l’ère de la production en série et de la mobilité.
À la plage l’été, à la montagne l’hiver, cet ovni de l’architecture peut ainsi être transporté d’un seul tenant par hélicoptère, ou démonté en 16 coques arrondies et remonté sur site en deux jours, moyennant 4 pieds pour le poser. Grâce à son isolation en polyuréthane et à son système de chauffage électrique, il peut en outre être chauffé en seulement 30 minutes à une température confortable. Tout semble possible, dans cette société portée par la technologie et l’enthousiasme d’après-guerre…

La Futuro en série

Le succès rencontré par la « maison du futur » de Suurinen est fulgurant : tout le monde salue cette audace et prouesse architecturale au salon Finnfocus Export, à Londres, en octobre 1968. Et l’entreprise finlandaise Polykem se charge d’en lancer la production en série, en réduisant à 5 mètres le diamètre de la Futuro pour en faciliter encore le transport et en l’aménageant entièrement de meubles en plastique.
« Où sont les petits hommes verts ? » vante la pub qui anime alors une campagne de promotion internationale. Plusieurs couleurs sont proposées aux amateurs de chalets en forme de soucoupe volante et à la trappe d’entrée héritée des avions : blanc, bleu, orange, vert, jaune… Les extraterrestres n’ont qu’à bien se tenir !
Exposée à titre d’étude de design au Museum of modern Art de New York, la Futuro est le premier modèle en série de maison de vacances à faire l’objet de licences dans 50 pays. Une petite centaine d’exemplaires sont ainsi conçus, qu’on retrouve aujourd’hui en Finlande, aux États-Unis, en France, à Taïwan, en Australie, et pas moins d’une douzaine en Nouvelle-Zélande – un record !
Mais le choc pétrolier de 1973 vient mettre à terme à l’industrialisation de cette création futuriste, à mi-chemin entre objet et architecture. Construite en polyester renforcé de fibres de verre, un matériau isolant dérivé du pétrole dont le prix s’est envolé, l’étrange capsule terrienne devient en effet trop chère à fabriquer, au vu du nombre d’exemplaires vendus.

Vu à la télé

Deux d’entre eux posent pied en France, après avoir été acquis en Belgique où la Futuro bénéficiait d’une licence de fabrication. Un modèle de couleur blanche fait la fierté de Lorient, en Bretagne, et un autre de couleur orange devient une curiosité aux portes de Paris.
Son propriétaire, Michel Mollard, l’a acquis en 1973 afin d’abriter une sandwicherie-snack à Paris-La Défense, ayant obtenu l’agrément de l’EPAD (Établissement Public d’Aménagement de La Défense) à condition d’édifier un objet design sur le célèbre parvis.
C’est ainsi que l’été précédent le premier choc pétrolier, les 16 modules de la Futuro démontée arrivent en train à la gare du Nord, puis sont acheminés jusqu’au CNIT dans un camion brasseur ! Là, une cafétéria d’un nouveau type, le « Resto Bulle », trône jusqu’en 1980, avant d’être déplacée lors de la construction du centre commercial des Quatre Temps. Puis, en 1983, les travaux pharaoniques de la Grande Arche obligent la soucoupe volante à quitter la ville pour un exil de plus de vingt ans à la campagne, dans le jardin de Michel Mollard au cœur de l’Oise…
Il faut ensuite attendre 2007 et une émission de télévision, Des Racines et des Ailes, pour que la Futuro sorte de l’oubli. Son propriétaire découvre alors XXO, acteur majeur du design en Europe bien connu dans les univers du cinéma, du luxe, de la presse, auxquels il loue du mobilier contemporain et vintage des années 1950 à nos jours. Xavier Gellier, Franck Mouchel et Benoît Ramognino, les trois collectionneurs et dirigeants historiques de ce véritable musée vivant du design, sont interviewés par les reporters de France 3 dans leur showroom de 2 500 m², visible depuis l’A86.
Fort intéressé par ce qu’il entend, Michel Mollard appelle les associés pour leur proposer de leur vendre sa Futuro. L’entrepreneur tombe bien : cela fait des années que Benoît Ramognino, passionné par l’histoire de la création de Matti Suurinen, en recherche un modèle en vain ! Propriétaire et collectionneurs mènent ainsi à bien la transaction et la maison est transportée en pièces détachées jusqu’à Romainville, où elle est restaurée entièrement, retrouvant au passage sa couleur orange d’origine, puis aménagée de meubles en plastique et exposée dans le showroom.
Trente-cinq ans après sa fabrication, la Futuro renaît en région parisienne…

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Gestionnaire de biens immobiliers et amateur de design

Lorsqu’il découvre en 2008 la « maison du futur » chez XXO, Patrik Barret ne sait pas encore qu’il a involontairement participé à l’acquisition de cet objet de collection par les célèbres brocanteurs de Romainville.
Amateur de design, le fondateur de Faubourg Conseil Immobilier connaît XXO depuis quelques années, ayant l’habitude d’aller chiner des meubles vintage pour décorer ses bureaux du 65, rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris. La première fois qu’il se rend dans l’immense showroom, c’est pour aller voir sur pièce une chaise en plastique moulée de Verner Panton. L’occasion de sympathiser avec les associés de XXO, qu’il aime venir saluer à chacune de ses visites.
Le hasard fait que Patrik Barret se trouve au showroom en compagnie de son épouse et de ses enfants, lorsqu’en 2007 les reporters de France 3 tournent pour l’émission Des Racines et des Ailes. Entendant l’agent immobilier interpeller Benoît Ramognino en ces termes : « C’est incroyable, quand tu fais des promotions, tout est déjà vendu quand on arrive ! », ils lui demandent l’autorisation de le filmer. Le destin de Patrik Barret se lie à la Futuro avant même de l’avoir découverte !
C’est à lui, en effet, que les fondateurs de XXO s’adressent lorsqu’en 2010 ils décident de vendre la « maison du futur » au départ de Benoît Ramognino. Patrik Barret la présente alors à l’un de ses clients, co-fondateur d’une importante entreprise de design et collectionneur passionné, qui fait l’acquisition de cet objet architectural non identifié. Le projet du nouveau propriétaire ? Revenir au concept premier de chalet de vacances à la montagne, en le posant au cœur des sommets pyrénéens ! Mais le projet doit être abandonné, faute d’obtenir l’agrément de l’architecte des Bâtiments de France…
La Futuro est donc démontée et stockée en région parisienne, avant que son propriétaire ne décide de s’en séparer et de se rapprocher à nouveau de Patrik Barret.

Renaissance au marché Dauphine

Le président de Faubourg Conseil Immobilier sait que Benoît Ramognino, qui a quitté XXO, est toujours très attaché à la maison imaginée par Matti Suurinen. Il lui fait donc part de l’affaire et le brocanteur a l’idée de la proposer en location au marché Dauphine, situé au sein des puces de Saint-Ouen. Le propriétaire de la Futuro donne son accord et confie la gestion de la location à Faubourg Conseil Immobilier.
C’est ainsi qu’en 2013, le « soucoupe volante » orangée atterrit au cœur du marché Dauphine, pour une durée initiale de trois ans – le temps pour elle de devenir emblématique du lieu… Alors, n’imaginant plus la voir partir quand son propriétaire décide de la céder définitivement, la responsable du marché prend la décision d’acheter la Futuro. Et la drôle de maison nomade se trouve définitivement un toit !